Le 13ᵉ arrondissement de Paris n'est pas le plus flamboyant de la capitale. Pourtant, il abrite de nombreux lieux dignes d'intérêt. Parmi ces lieux, il y a le quartier asiatique. Se balader sur place, c'est faire un voyage culturel et historique sur la relation qu'entretien l'Asie avec la Ville Lumière, et ce, depuis près de 150 ans.
Retrouvez « La Revue Sinosphère » sur Instagram. L’essentiel de l’actualité et de la culture du monde est-asiatique en moins de 2 000 caractères ! sur @revuesino
Les premières rencontres entre la France et l’Asie se sont faites sur le tard. Les milliers de kilomètres qui nous séparent sont évidemment une raison notable. D’autant plus qu’en Chine, sous la dynastie des Ming et des Qing (dès le 14ᵉ siècle), les sorties du territoire étaient interdites. Le commerce se développe assez peu entre les deux continents et l’échange culturel est par principe inexistant.
Une première porte d’échange s’ouvre à la fin du 17ᵉ siècle, lorsque Shen Fuzong, un Chinois converti au catholicisme, rejoint l’Europe. Sur place, il y fait forte impression, étant même présenté à Louis XVI en 1684. Toutefois, il faudra attendre près de deux siècles, avec l’ouverture du port de Wenzhou à l’international, pour que la première communauté chinoise s’installe à Paris.
L'Empire Célèste est le plus ancien restaurant asiatique de Paris, il a ouvert ses portes en 1912. Source photo : buzzography
Le 13ᵉ arrondissement ne va pas apparaître tout de suite dans notre histoire. En effet, l’importante communauté asiatique qui s’y trouve n’est arrivée que dans les années 1970.
Petit retour en arrière, donc. Dans les années 1900-1910, la communauté chinoise est encore très minoritaire à Paris.
Elle s’installe en grande partie dans le quartier des Arts-et-Métiers, situé dans le 3ᵉ arrondissement. Sur place, principalement des boutiques de maroquinerie et d’artisanat. Aujourd’hui, il reste assez peu de traces de cette présence précoce. Les commerces de l’époque n’ont pour la plupart pas subsisté.
Il existe toutefois une petite exception à l’affirmation précédente, bien qu’elle se trouve dans le Quartier Latin (5ᵉ arrondissement). En effet, le premier restaurant asiatique de Paris, nommé l’Empire céleste, est toujours en activité. Ouvert en 1912, c’est l’une des rares reliques restantes de cette première vague arrivée d’Asie dans la capitale.
Le rôle des travailleurs Chinois en France durant la première Guerre Mondiale est presque inconnu du grand public. Source photo : Institut Confucius
Ensuite, comment évoquer les années 1910 sans parler de la Première Guerre mondiale ? Là aussi, la communauté chinoise a eu son rôle à jouer, un aspect largement éclipsé des manuels scolaires.
Alors que des bombes s’écrasent sur le sol français, derrière, dans les usines, on manque de mains. La Chine n’est à l’époque pas en guerre, et la France y possède des concessions, la solution est vite trouvée : dès 1916, la France recrute près de 40 000 chinois. Ils se retrouvent logés dans des camps, confrontés au racisme et à des conditions de travail épouvantables. Pendant la guerre, ils nettoient des tanks et évacuent des cadavres. Après la guerre, ils nettoient les champs de bataille, enlèvent les obus et remblaient les tranchées.
Peu de précautions sont prises. En principe, les camps doivent être éloignés des tranchées, mais dans les faits, certains d’entre eux essuient tout de même des bombardements. Pendant la guerre, entre 2000 et 10000 travailleurs chinois perdent la vie. Aujourd’hui, un cimetière leur rend hommage dans la commune de Noyelles (Somme), ou 842 d’entre eux sont enterrés.
Et puisque l’Homme est souvent cruel en période de conflit, après la guerre, les Chinois sont vus comme des pestiférés. Ils subissent le racisme issu du péril Jaune. Le général Pétain dit d’eux qu’ils sont « agressifs, avides, sales » et « une source constante d'incidents ».
Au final, en étant vus considérés comme indésirables, la plupart retournent dans leur pays, et beaucoup sont traumatisés par les horreurs de la guerre. Sur les 40 000 chinois venus, moins de 5% d’entre eux décident de rester sur le territoire français.
La France a été en quelque sorte une école d'idées pour les révolutionnaires Chinois des années 1920. Source photo : TV5 Monde
Dans les années 1920, quelques centaines de Chinois vont rejoindre la capitale. En grande majorité des intellectuels (journalistes, militants). Au sein de ce groupe, quelques noms vous seront peut-être familiers : Zhou Enlai (premier ministre de 1949 à 1976) ou Deng Xiaoping (président de 1976 à 1978).
C’est en effet en France qu’émerge l’idée de créer le Parti Communiste Chinois qui gouverne aujourd’hui le pays. Un de ces étudiants, Cai Hesen, va régulièrement échanger par lettre avec Mao Zedong, et lui décrire la France en ces termes : « la vie en France n'est pas si différente de celle en Chine, et relativement peu chère […] les conditions de travail sont généralement assez bonnes, et il est facile d’ouvrir un restaurant ou une boutique artisanale ».
Comme dernier « clin d’œil » biculturel, le parti communiste chinois est fondé en 1921 au sein de la concession française de Shanghai. L’occasion de préciser ce détail historique peu connu : la France a en effet eu sous son contrôle (sous forme de concession) un petit morceau de la ville, entre 1849 et 1946.
Au milieu des années 1970, de nombreuses nationalités autres que Chinoises sont arrivées dans le 13e arrondissement. Source photo : Quentin DOS SANTOS MELGAR
Pour continuer notre aventure, il est nécessaire de faire un bond dans le temps de près d’un demi-siècle. Malgré tout, un tel saut n’éclipse pas grand-chose, et pour une raison très simple : en 1949, la Chine de Mao Zedong ferme ses frontières.
Dès lors, la communauté chinoise reste stable pendant un long moment, avec environ 20 000 personnes dans toute la France. Cette communauté d’après-guerre est toujours principalement originaire de Wenzhou, comme les Chinois ayant débarqué à la fin du 19ᵉ siècle.
C’est une évidence, mais tous les asiatiques de France ne proviennent pas de Chine. Et c’est donc au milieu des années 1970 que commence une nouvelle vague migratoire en provenance d’autres pays. Face à l’instabilité politique à cette époque dans plusieurs pays d’Asie de l’Est : de nombreux Vietnamiens, Laotiens et Cambodgiens décident de venir en France.
Encore une fois, la France possédait un lien avec ces pays, et pas que pour des bonnes raisons. Pour rappel, la Cochinchine était un empire colonial français, entre 1862 et 1949, englobant les territoires du Viet Nam, du Laos et du Cambodge. Bien que le colonialisme ait quelque peu fracturé les relations entre la France et ces pays. Les immigrés ont pu s’intégrer rapidement, car francophones ou francisés.
Dans ces trois pays se trouvaient aussi de nombreux Chinois, originaire pour la plupart de Chaouzhou, et ayant fui la Chine. En plus d’une vague d’arrivées provenant d’Asie du Sud-Est, il y a donc une deuxième génération de Chinois qui rejoignent la France au cours des années 70.
Une grande partie de ces communautés vont s’installer dans le 13ᵉ arrondissement, aux Olympiades. Ce quartier parisien emblématique est désormais indissociable du quartier asiatique de Paris.
Les Olympiades, lieu le plus reconnaissable du quartier asiatique de Paris, les pagodes sont visibles au centre. Source photo : Quentin DOS SANTOS MELGAR
Dans les années 60, la ville de Paris met en place un ambitieux plan d’urbanisme nommé « Italie 13 ». Référence d’une part au numéro de l’arrondissement dans lequel se trouve ce projet, et d’autre part à l’avenue d’Italie qui coupe cet arrondissement en deux.
Ce plan souhaite à l’époque répondre aux problèmes d’insalubrité des logements de la périphérie parisienne. Plus qu’une simple remise aux normes, le projet imagine une réorganisation complète des quartiers ciblés. Le plan « Italie 13 » commence en 1966, et les chiffres donnent le vertige : 87 hectares de surface, 16 400 logements et 150 000 mètres carrés de commerces et de bureaux.
Au final, le projet était peut-être trop gourmand. Il s’arrête inachevé en 1974, sous l’impulsion du président de l’époque Valéry Giscard d’Estaing. Les habitants, au départ plutôt favorables à cette réorganisation, changent d’avis en voyant la hauteur et l’espace colossal que prennent ces immeubles.
Cette perte d’attrait est l’une des nombreuses causes qui expliquent l’échec du projet. Mais il existe d’autres causes : notamment l’absence de métro à proximité (la ligne 14 qui dessert la zone n’est inaugurée qu’en 1998), et des charges trop onéreuses.
Avec huit ans d’existence, des concepts ont pu malgré tout sortir de terre. Parmi eux, le plus emblématique, le village des Olympiades : six immenses tours de trente étages, un centre commercial et 3 400 logements. Les premiers immeubles sont livrés en 1972, les derniers, en 1976.
C’est dans ces tours que se sont justement installés de nombreux asiatiques arrivant en France lors de la deuxième vague d’immigration. Sur la dalle des Olympiades, entre les immeubles, il est possible d’observer des magasins en forme de pagodes. Mais rien à voir avec la thématique asiatique du quartier, ce choix d’architecture est le fruit d’un heureux hasard.
Une balade dans le 13e arrondissement, c'est la posibiliter de "voyager" en Asie à moindre frais. Source photo : Quentin DOS SANTOS MELGAR
Arrivé sur place donc, par la ligne 14 du métro, le quartier asiatique est en effet bien loin des beaux quartiers haussmanniens. Pour être honnête, ce n’est pas très beau. Au moins, les touristes ne se bousculent pas pour venir ici. Mais l’essentiel est ailleurs, et ne se trouve pas dans la beauté de l’architecture.
Ce qui frappe ici, c’est l’atmosphère, l’impression de voyager en Asie sans même avoir pris l’avion. Les enseignes en français se combinent parfaitement avec les caractères « plus exotiques », en chinois surtout, un peu en japonais, un peu en vietnamien aussi. On tombe sur des librairies chinoises, des boutiques de souvenirs…
Même dans les rues, cette même impression de voyage. Les jeunes entre eux ne parlent pas spécialement en français, et les personnes âgées encore moins. J’essaie de décrypter ce qu’il se raconte, j’entends et comprend un nĭ hăo, mais mes capacités sont rapidement dépassées.
Du côté de l’assiette, ça voyage encore, les restaurants dans le quartier se comptent par dizaines. Les prix ne sont pas affolants, et pour un peu plus d’une dizaine d’euros, il est possible de s’offrir une escapade culinaire dans de multiples pays.
Pour le gouter ensuite, les choix sont multiples. Le bonheur se trouve à quelques pas si vous êtes comme moi amateur de thé. Une boutique traditionnelle vous permettra de profiter d’une cérémonie « presque » traditionnelle avec un choix défiant toute concurrence. Sinon, direction les multiples boutiques de bubble tea, une boisson taiwanaise au succès fou. Du thé glacé, avec ou sans lait, ponctué de graines de tapioca ou du sirop de votre choix, et c’est surprenamment bon.
Dernière escale absolument incontournable, direction la boutique Tang Frères. Ouverte en 1976, cette épicerie asiatique a été fondée par deux chinois du Laos. Aujourd’hui, ce magasin est une référence absolue. C’est bien simple, si vous mangez un produit asiatique en France, il est très probable qu’il soit passé par ici. Des dizaines de milliers de références, des produits parfois introuvables ailleurs, en bref, une vraie caverne d’Ali Baba.
Tournée aux Olympiades, le film "Made in China" (2019) de Frédéric Chau, exprime le principe de l'identité asiatique en France, qui apparaît concrètement au niveau culturel et social. Source photo : Mars Films
Dans ce quartier asiatique, une dernière chose est particulièrement frappante. Même si plusieurs pays se mélangent, on ressent l’existence d’une communauté soudée autour du continent commun qu’est l’Asie. Un élément qui se ressent particulièrement au niveau culturel.
Chaque année, le quartier célèbre le nouvel an chinois. C’est un véritable temps fort. Les rues se remplissent tandis que défilent de spectaculaires costumes de dragon, des musiciens, et des artistes en habits traditionnels.
Dans le cinéma aussi, le quartier asiatique et les Olympiades ont servi de décor dans de nombreux films. Parmi ceux-ci, le film « Made In China » (2019), réalisé par Frédéric Chau. Cette comédie dramatique livre le portrait poignant de François, qui vient retrouver les lieux de son enfance et ses racines dans ce quartier. Ses parents, chinois, ont fui au Viet Nam pour rejoindre la France. Un récit qui s’inspire de la vie réelle du réalisateur.
La communauté asiatique est également soudée au niveau des les luttes sociales, il a été possible de s’en rendre compte au travers de plusieurs affaires médiatisées.
En août 2016, Zhang Chaolin, un chinois de 49 ans travaillant comme ouvrier textile, est mortellement agressé. Le mois suivant, une manifestation est organisée (entre 15000 et 50000 personnes) demandant des « mesures fortes pour assurer la sécurité des asiatiques ».
En mars 2017, Shaoyao Lui, homme de 56 ans de la communauté chinoise, est abattu par la police lors d’une intervention à son domicile. Des manifestations ont aussi lieu, ainsi que quelques débordements. Cette affaire provoquera même une perturbation diplomatique entre la France et Pékin.
Enfin, l’événement le plus récent, c’est lorsque les communautés asiatiques de France ont tiré la sonnette d’alarme face à un racisme croissant lors de la période du Covid-19. Cette situation a été très révélatrice du racisme anti-asiatique, souvent peu mis en avant par les médias, et très ancré historiquement en France, comme évoqué précemment.