Après la Seconde Guerre mondiale, le Japon s'est pacifié. Une politique qui s'oppose diamétralement à son passé. Aujourd'hui, le pacifisme japonais est largement entré dans l'imaginaire collectif. Pourtant, il reste une ombre au tableau, le pays utilise depuis toujours la peine capitale et l'opinion publique y est largement favorable.
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Lorsque l’on enseigne la Seconde Guerre mondiale dans les lycées français, une bonne part est dédiée aux crimes de guerre de l’armée allemande. Mais le plus souvent, le programme fait l’impasse sur les crimes de guerre de l’armée japonaise, réalisés sur cette même période, et pourtant bien moins connus en Occident.
Pourtant, les faits reprochés sont dramatiques. Entre 1937 et 1945, au début de l’ère Shōwa (règne de l’empereur Hirohito), le Japon exprime une volonté expansionniste, et se lance dans plusieurs conflits majeurs : la Seconde Guerre mondiale, la guerre du Pacifique, et la seconde guerre sino-japonaise.
Durant ces quelques années, l’armée japonaise va cumuler les crimes de guerres : tuerie de masse, torture sur des prisonniers de guerre (au travers notamment de la célèbre unité 731), armes chimiques, travail forcé, viols… Selon les estimations, entre 3 et 14 millions de civils auraient péri des mains de l’Empire du Japon. Une partie de ces crimes seront jugés par le tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient. Basé sur le modèle du procès de Nuremberg, sept responsables politiques seront condamnés à mort en décembre 1948, les 18 autres prévenus feront de la prison.
Aujourd’hui, le Japon est considéré comme un pays plutôt pacifique, et l’existence d’un tel passé peut surprendre. Le Japon continue pourtant, et encore aujourd’hui, de minimiser tous ces crimes, un vrai débat social agite le pays depuis près de 80 ans.
En revanche, malgré l’existence de ces vieux démons, le Japon a indéniablement basculé dans le pacifisme au fil des décennies suivant la Seconde Guerre mondiale.
Vote de la constitution japonaise dite "d'après-guerre" (1947). Crédit : Council on Foreign Relations
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon, qui capitule, se retrouve sous occupation américaine. Une occupation qui va durer jusqu’en 1952, mais qui va permettre une restructuration du pays. Le pacifisme japonais ne se situe pas uniquement dans l’imaginaire collectif, il n’est pas seulement une impression. En effet, il se base sur un des textes majeurs de l’histoire contemporaine du Japon : la constitution de 1947.
Cette constitution est l’un des éléments de la restructuration du pays. Un des articles de cette constitution dite « d’après-guerre » va particulièrement retenir notre attention ici, il s’agit de l’article 9. « Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l'ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre […] à la menace, ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux. ».
L’interprétation de l’article a évolué au fil du temps. Interprété stricto sensu pendant huit ans, le Japon ne disposait alors d’absolument aucune armée. En 1954 furent fondées les « forces japonaises d’autodéfense ». Comme son nom l’indique, cette armée s’interdit toute action offensive, et leur déploiement se réalise quasi exclusivement à l’intérieur des frontières japonaises. Lors de la catastrophe de Fukushima (et le tsunami qui y est associé), plus de 100 000 soldats ont été mobilisés, soit près de 40% de l’effectif total du pays.
Autre élément palpable du pacifisme japonais, le pays n’a à sa disposition aucune arme nucléaire. D’un point de vue psychologique, ça peut sembler logique, les bombardements de Hiroshima et Nagasaki ont créé un véritable traumatisme dans la société japonaise. Mais en s’appuyant plutôt sur des faits, le Japon a toujours maintenu une volonté ferme de ne jamais s’équiper de l’arme nucléaire.
Une politique qui a généré quelques débats au fil du temps, puisque ses voisins (la Russie, la Chine, et peut-être la Corée du Nord) la possèdent tous. De plus, le Japon dispose parfaitement des moyens techniques pour l’obtenir, comme l’expliquait en 2006 Tarō Asō, ministre des Affaires étrangères.
Suite à cette annonce, enflammant de nouveau les débats, la Japon a réaffirmé cette même année ne « jamais vouloir, dans un futur proche comme lointain, posséder, produire, ou stocker quelconque arme nucléaire ».
Image du centre de détention de Tokyo, habilité à appliquer la peine de mort. Crédits : Nesnad/Wikimédia Commons.
Face à ce constat d’un pays pacifique, un détail fait tâche, le Japon maintien l’application de la peine capitale. Une politique qui peut générer l’étonnement de n’importe quel européen. En effet, le vieux continent compte 49 états membres de l’ONU : parmi eux, seule la Biélorussie maintient la peine capitale, et seule la Russie applique un moratoire, prolongé indéfiniment, sur l’application de cette peine (la dernière exécution ayant eu lieu en 1996).
Que l’on soit pour ou contre, un élément fait consensus, la peine de mort a toujours eu sa place dans le pays. Déjà appliquée lors des premiers siècles de l’histoire du Japon (dès la période d’Asuka au 7ème siècle), l’usage de la peine capitale n’a jamais vraiment cessé. Lorsque les Etats-Unis ont occupé le pays dans les années 40, bien qu’ils aient reformés plusieurs aspects juridiques du pays, le code pénal n’a été que peu modifié. Ainsi, la peine de mort est considérée comme pleinement constitutionnelle dès 1947. Les Japonais n’ont pas été influencés de ce côté par l’occupation américaine. Alors que ces derniers utilisaient à cette époque deux types de mise à mort (chaise électrique et chambre à gaz), le Japon utilise lui exclusivement la pendaison, c’est toujours le cas aujourd’hui.
Concernant l’application des peines, la décision revient aux ministres de la justice. Entre 1989 et 1993, le Japon a connu une succession de ministres favorables à un moratoire sur la peine capitale, qui ne fut pas appliqué durant quatre ans. La peine reprend du service dès 1993 de manière ininterrompue, et les exécutions font l’objet de statistiques.
Ainsi, en l’espace de vingt ans, 134 personnes ont été exécutées par pendaison, toutes condamnées pour meurtre. La mois de juillet 2018 a été particulièrement marquant pour les Japonais, en l’espace de vingt jours, 13 personnes liées à une même affaire sont exécutées. Tous faisaient partie d’une secte, responsable de l' attaque terroriste au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995. Le bilan de l’attaque, qui aurait pu être bien plus grave au vu des circonstances, s’élève à 13 morts et plus de 6 000 blessés.
Cette vague d’exécutions permet de mettre en lumière une différence de délai importante entre chaque condamnation. En effet, une fois condamné, l’application de la peine met au minimum deux ans, en raison de délais légaux. Mais elle peut dépasser les 20 ans, comme pour l’affaire évoquée ci-dessus.
Les premières images du film mettent en avant un sondage d'opinion sur l'application de la peine de mort au Japon (1968).
Nagisa Oshima (1932-2013) est un cinéaste japonais. Sa carrière est marquée de succès, mais également de scandales, la plupart de ses films étant transgressifs et très politiques. Parmi ses films, « La Pendaison » réalisé en 1968, se veut être un réquisitoire contre la peine de mort.
Pendant près de 2 heures, le film retrace d’une façon quasi documentaire le protocole d’exécution par pendaison au Japon. Tout y est décrit de bout en bout : l’allure de la maison d’exécution, la longue attente du condamné, sa pendaison par chute.
Le niveau de détail est glaçant : le commandant appuie sur une trappe, le pendu tombe de 3 mètres, la moelle épinière est arrachée, causant une perte de connaissance immédiate. Le cœur, lui, continue à battre jusqu’au 15 minutes après la chute.
Comme l’explique Mathieu Capel, chercheur en histoire de l’art, le film est basé sur une histoire réelle, qui a marqué l’opinion japonaise : « En 1958, un lycéen tue une jeune fille. Les enquêteurs n’auront aucune piste, jusqu’à ce que le meurtrier passe de nombreux appels à un journal local pour narguer la police. Il est finalement retrouvé et pendu en 1962. Ce qui rend cette affaire spéciale aux yeux des Japonais, c’est que le meurtrier était un Coréen. À cette époque, les Coréens installés au Japon étaient encore grandement discriminés. Sans cautionner le meurtre, l’opinion publique a tenté de se mettre à la place de ce lycéen, qui se retrouve en quelque sorte apatride ».
En plus de la scène de pendaison, une autre scène est particulièrement marquante, et se situe dans les premières secondes du long-métrage. Le film affiche dès son début un sondage d’opinion, réalisée par le gouvernement (voir image ci-dessus), posant la question « êtes-vous favorable à la peine de mort ? ». 71% le sont. C’est à ce moment, que le réalisateur interroge directement le spectateur et brise le 4ème mur, en disant : « Vous, qui êtes des 71%, avez-vous seulement déjà assisté à une exécution ? ». Le film répond à la question, et choque par son réalisme.
Ils sont plutôt rares, mais certains japonais s'opposent à la peine capitale. Source : Tsuno Yoghikazu / Amnesty International.
Aujourd’hui, les Japonais sont largement favorable à l’application de la peine de mort dans leur pays. Selon une étude menée en 2020 par le gouvernement, 80% des sondés considèrent cette peine comme « permise », alors que seulement 8% en faveur de son abolition. Certains évènements, comme l’attaque au gaz sarin (évoquée plus haut), ont renforcé l’acceptation de telles peines.
Lors des affaires de meurtre particulièrement barbares, les journaux japonais, plutôt conservateurs, se placent généralement en faveur d’une peine de mort pour le condamné. Les journalistes indiquent que « c’est une peine juste face aux souffrance des familles ». Face à cette affirmation, on peut imaginer qu’en plus d’un aspect juridique, l’application d’une telle peine au Japon a également un aspect moral.
Concernant l’opposition à la peine de mort, elle se fait assez discrète à l’intérieur des frontières. Le plus souvent, ce sont des ONG, particulièrement Amnesty International, qui dénoncent au Japon l’application de la peine capitale. L’organisation alerte aussi sur des faits de maltraitance (violence, privation de sommeil, de nourriture et d’eau) lors des interrogatoires. Autre élément, les condamnés ne sont pas prévenus de leur date d’exécution, détruisant leur santé mentale. Car pour rappel, l’annonce d’une date prend jusqu’à une vingtaine d’années.
Même dans le futur, difficile d’imaginer l’apparition d’une opposition nette à la peine de mort dans le pays. Pour les personnes favorables, un argument de taille : le taux de criminalité extrêmement faible au Japon. Bien qu’aucune corrélation ne soit faite entre les deux éléments, du côté de l’opinion, le choix est déjà fait, et il ne va pas en faveur de l’abolition.