#02 : L'industrie du néon à Hong-Kong, entre cinéma et culture.

Lorsque l'on imagine Hong-Kong, difficile de visualiser autre chose que de grands immeubles couverts d'enseignes lumineuses. Les néons ont fait leur place dans la culture hongkongaise, photographiés sous tous les angles et utilisés dans de nombreux films comme un élément esthétique. Ce premier numéro propose un tour d'horizon de cet artisanat.

La revue Sinosphère
5 min ⋅ 13/02/2023

Si on se place dans l’imaginaire collectif, il est possible de caricaturer Hong-Kong de cette manière : « du béton et des immeubles partout ». À vrai dire, cette réputation n’est pas tout à fait volée. Plus de 7 millions d’habitants s’agglutinent dans ce petit espace, si bien qu’aujourd’hui, l’ancienne colonie britannique est l’un des endroits les plus densément peuplés de la planète.

Les lecteurs plus âgés que moi se souviendront peut-être de la citadelle de Kowloon. Détruite au début des années 90, il s’agissait d’un enchevêtrement d’immeubles sur un peu plus de deux hectares, tellement serrés entre eux que la lumière y pénétrait à peine. C’était alors le lieu le plus densément peuplé de la planète (jusqu’à 2 millions d’habitants par km2 en 1987, oui, vous avez bien lu). Cette architecture si particulière est apparue dans quelques films, notamment dans Bloodsport (1988), film d’action avec Jean-Claude Van Damme , qui témoigne donc d’une époque révolue.

Toutefois, au travers du cinéma, il est possible de considérer Hong-Kong autrement : au travers des néons. En plus, il est vrai, des nombreux immeubles, ce qui a forgé le visuel de la ville, ce sont également ses néons, posés un peu partout le long des façades et au-dessus des routes. Cette explosion lumineuse a inspiré de nombreux cinéastes hongkongais, dont surement l’un des plus emblématiques : Wong Kar-Wai.

Mais en dehors du seul aspect cinématographique, le néon à sollicité de nombreuses personnes lors de son âge d’or : entre des artisans, des artistes et des calligraphes. Alors que les néons désertent la ville, petit à petit, pour diverses raisons, des militants se battent pour ne pas faire disparaître cet élément culturel indissociable de Hong-Kong.

L’émergence des néons à Hong Kong

Image de Nathan Road en 1963, une des rues les plus emblématiques de Hong-Kong. Source image : Old Hong Kong Photos  Image de Nathan Road en 1963, une des rues les plus emblématiques de Hong-Kong. Source image : Old Hong Kong Photos

La densité de population a eu un impact sur l’arrivée de ces grands panneaux lumineux. L’éclairage au néon arrive à Hong-Kong à partir des années 50, même s’il n’est pas immédiatement très répandu. Une arrivée assez tardive au niveau mondial d’ailleurs, aux Etats-Unis, les néons étaient populaires bien avant, déjà dans les années 20.

Dans les années 50, la population de la ville explose. Elle est de 750 000 habitants en 1945, puis est multipliée par trois en l’espace de cinq ans (2 200 000 hab. en 1950). Avec cette arrivée de population, on note une multiplication des magasins, et donc des enseignes à mettre en avant.

Comme l’explique la journaliste Cardin Chan, dans un documentaire de Maja Dielhenn en 2019 : « Lorsque la mode est arrivée, toutes les enseignes ont voulu avoir un néon, l’idée était d’avoir le plus grand possible, le plus spectaculaire, pour mettre en avant son magasin. À force de s’empiler sur les façades, les néons, par manque de place ont fini par s’afficher sur un nouvel espace disponible, directement au-dessus des routes. »

Concernant la particularité de ces néons, bien que de nombreuses couleurs soient possibles, ils sont nombreux à s’afficher en rouge. C’est le plus souvent une demande expresse des commerçants, cette couleur symbolisant dans la culture chinoise la richesse et bien d’autres éléments positifs.

La calligraphie chinoise comme source inépuisable

Le calligraphe Fung Siu Wah dans le reportage "Hong Kong : la magie des néons" de Maja Dielhenn (2019) Le calligraphe Fung Siu Wah dans le reportage "Hong Kong : la magie des néons" de Maja Dielhenn (2019)

L’art est bien entendu subjectif, mais difficile de ne pas voir une certaine élégance dans ces panneaux lumineux qui couvrent les rues. Et la complexité des caractères chinois y sont peut-être pour quelque chose.

Prenons une image facile à visualiser : sera-t-il plus facile pour vous d’écrire une quelconque lettre de l’alphabet latin (par exemple le U), ou un quelconque caractère chinois ? L’idée derrière cette question est de se rendre compte que la modélisation en verre des caractères chinois (composés de plus de courbes que notre alphabet latin) peut demander une plus grande dextérité, ou au minimum plus de temps.

Mais un aspect que l’on ne conçoit pas vraiment au premier abord, et qui pourtant est une étape clé dans la conception des néons, c’est l’art de la calligraphie. En effet ce qui distingue n’importe quel affichage numérique, conçu par ordinateur, des classiques néons hongkongais, c’est que ces derniers sont issus de caractères dessinés à la main, et c’est tout un art.

Certains calligraphes sont devenus de véritables référence dans le domaine, à l’image de Fung Siu Wah, concepteur de nombreux néons de la ville. Il ne les a pas conçu de ses mains, mais en a dessiné les caractères, il explique :

« C’est la calligraphie chinoise qui rend ces néons si spéciaux. L’écriture chinoise comprend plus de 50 000 sinogrammes, composé de 214 radicaux (éléments se rapprochant des lettres). Et ce qui les rend unique aussi, c’est le mélange entre l’écriture traditionnelle et l’écriture anglaise apportée par la colonisation. Dans les néons, les deux langues se mélangent. »

Focus : néons et cinéma hongkongais

Le directeur de la photographie Christopher Doyle dans le reportage "Hong Kong : la magie des néons" de Maja Dielhenn (2019) Le directeur de la photographie Christopher Doyle dans le reportage "Hong Kong : la magie des néons" de Maja Dielhenn (2019)

Les enseignes aux néons, qui font partie intégrante du paysage hongkongais, se sont implantées dans la culture collective par le biais des films et de la photographie. Les artistes sont nombreux à s’approprier ces éléments visuels pour les rendre encore plus beaux.

Ainsi, un des plus célèbres réalisateurs hongkongais, Wong Kar-Wai, a pu contribuer à la popularisation de ces néons. Il a réalisé de nombreux films, et beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui considérés par les amateurs de cinéma asiatique comme de véritables chefs d’œuvres. Ces plus grands succès sont des films d’inspiration romantique, se passant la plupart du temps à Hong-Kong, ce qui permet lors du visionnage de ces longs-métrages, indirectement, de voyager.

Sa popularité va exploser durant la deuxième moitié des années 90, puisqu’il va sortir consécutivement quatre films au succès critique non négligeable.

  • Chungking Express (1994), qui va rafler quatre prix aux Hong Kong Film Awards l’année suivante.

  • Les Anges déchus (1995), va devenir un des coups de cœur du Festival International du Film de Toronto, notamment en raison de son esthétique visuelle.

  • Happy Together (1997), prix de la mise en scène au Festival de Cannes.

Mais son succès le plus significatif se fait avec la sortie en 2000 du film « In the Mood for Love » qui remporte un César, et cinq prix différents aux Hong Kong Film Awards la même année. En 2016, la BBC publie une liste des « 100 meilleurs films du siècle » qui centralise les critiques de 177 journalistes du monde entier. Ces dernières sont quasi unanimes, et le film arrive à la 2ème place du classement.

Mais ne célébrer que le réalisateur, ce serait oublier le rôle de directeur de la photographie. Cette personne est chargée de s’occuper des prises de vues au sein d’un film. L’aspect visuel tant apprécié des films de Wong Kar-Wai, vient, en plus du réalisateur, d’un autre homme : Christopher Doyle.

Né à Sydney, il va rapidement tomber amoureux de l’Asie puisqu’il va quitter son pays natal dès 17 ans. Il commence sa collaboration avec Wong Kar-Wai avec le film « Nos années sauvages » (1991), une collaboration qui va durer sur de nombreux films et pendant près de 15 ans. Fasciné par les néons dès son arrivée à Hong Kong, il a voulu les mettre en avant dans sa photographie : « Je ne faisais pas de film à l’époque, mais j’ai trouvé ça épatant, ce sont eux (les néons) qui ont fait le cinéaste que je suis aujourd’hui ».

Que ce soit lui ou d’autres créatifs, tous se mettent d’accord sur la nécessité de préserver ce morceau de patrimoine au travers de leur art. « L’objectif est de rendre le néon attractif même aux yeux des néophytes. » selon Christopher Doyle.

Un artisanat en triste déclin

Comparaison de la Nathan Road entre 1960 et 2014. Un très grand nombre de néons ont disparus au fil des générations.Comparaison de la Nathan Road entre 1960 et 2014. Un très grand nombre de néons ont disparus au fil des générations.

Aujourd’hui, l’art du néon est menacé. C’est pour cette raison que les artisans, mais également les artistes comme évoqué plus haut, se battent pour éviter sa disparition.

Il est possible de se rendre compte de cette disparition progressive, déjà, auprès des artisans. Il en existe de moins en moins à Hong-Kong. Et, la plupart de ceux qui maîtrisent encore l’art du soufflage de verre et de la conception de néons, font ça aujourd’hui en activité annexe.

L’époque ou ces artisans croulaient sous les commandes est maintenant révolu. Il est possible de prendre exemple sur celui qu’on appelle localement « Maitre Wong », avec plus de 60 ans de carrière, c’est le plus ancien souffleur encore présent sur Hong-Kong. Né en Chine, il fuit le régime communiste et arrive dans la ville en 1957 pour y devenir apprenti. Il explique « les commandes sont devenues rares, on m’appelle maintenant pour des travaux de maintenance, une poignée de clients passent encore commande, mais c’est pour des enseignes de taille plus modestes qu’à la grande époque ».

Une autre manière de se rendre compte de cette disparition est de comparer des images actuelles et anciennes de Hong-Kong. Autrefois, des milliers de néons couvraient les rues. Ceux-ci appartenaient à des entreprises traditionnelles, mais ces dernières ont petit à petit quitté les lieux pour laisser leur place à des entreprises plus modernes. Qui dit modernité, dit remplacement des néons par des panneaux LED, moins coûteux en temps et en énergie. L’artisanat est moins nécessaire, et les caractères, générés par ordinateurs, se passent volontiers d’un calligraphe.

Même le gouvernement se place dans cette stratégie. Le nombre d’enseignes diminue à vue d’œil puisque l’exécutif a ordonné l’enlèvement de plus d’un milliers de néons, jugés trop dangereux, depuis le début du siècle. Cette décision est motivée par le fait que Hong Kong soit balayé par des typhons en été. Les néons sont tenus au-dessus des routes par des structures métalliques, et il est déjà arrivé que certaines tombent et blessent des gens.

Il est possible de se rassurer d’une certaine manière, de nombreux jeunes hongkongais sont eux aussi passionnés par la culture du néon. Les experts du domaine, maintenant âgés, passent volontiers leur expertise à des apprentis qui veulent permettre à cet artisanat de continuer à vivre. Du côté des artistes de la nouvelle génération, cinéastes comme photographes, eux aussi veulent mettre en avant ce morceau de patrimoine qui leur est si cher et qui est aussi tellement significatif de la ville.

La revue Sinosphère

Par Quentin Dos Santos Melgar

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